Lettre aux Députés et Sénateurs, Parlement du Canada
Re: Loi C-14 (aide médicale à mourir )
23 mai, 2016
Aux Députés et Sénateurs
Full Text
I. Introduction
I.1 Le Groupe consultatif provincial-territorial
d'experts sur l'aide médicale à mourir a formulé 43 recommandations
concernant la mise en œuvre de la décision de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Carter c. Canada (Procureur général).1
Les recommandations suivantes sont particulièrement préoccupantes:
- Que les établissements portant opposition soient obligés de préparer
l'homicide ou le suicide assisté dans un autre établissement en amorçant
le transfert de patients/résidents;
- Que les médecins ou les travailleurs de la santé portant opposition
soient obligés de permettre activement l'homicide ou le suicide par
- l'octroi de références,
- la préparation des transferts directs,
- l'inscription ou la prise de mesures permettant l'inscription de
patients à un système d'euthanasie et de suicide assisté similaire à
un système de transplantation d'organes.
I.2 Ces recommandations ne correspondent pas à une véritable
acceptation de la liberté de conscience et de religion, pour autant que de
nombreux objecteurs de conscience considèrent raisonnablement qu'elles sont
parties à une complicité inacceptable des homicides et des suicides. Le
caractère raisonnable de leur position peut être vérifié en la considérant
dans le contexte du droit et de la politique publique.
II. Complicité dans le droit et la politique
publique
II.1 En ce qui concerne le contexte juridique, à l'exception de la
décision dans l'affaire Carter, les médecins qui ont agi en conformité avec
n'importe laquelle de ces recommandations seraient exposés à des poursuites
criminelles comme partie à une infraction de meurtre au premier degré ou de
suicide assisté, ou de complot en vue de commettre un meurtre au premier
degré ou un suicide assisté. De plus, ils seraient tenus civilement
responsables de tout dommage résultant des homicides ou des suicides
auxquels ils ont pris part.
II.2 Le contexte de politique publique est apporté par le cas de Maher
Arar. En 2002, Maher Arar, un citoyen canadien, a été détenu à New York,
interrogé et « remis » aux autorités syriennes par les autorités
américaines. Il a été emprisonné pendant près d'un an en Syrie, « interrogé,
torturé et détenu dans des conditions dégradantes et inhumaines ».2
Une enquête subséquente « complète et détaillée » « n'a, en fin de compte,
fourni aucun élément de preuve indiquant qu'il avait commis une infraction
criminelle » et n'a divulgué « aucun élément de preuve [qu'il] représentait
une menace pour la sécurité du Canada ».3
Une commission d'enquête a été nommée pour enquêter sur « les actions des
responsables canadiens relativement à Maher Arar ».4
II.3 Ce qui a préoccupé la population canadienne et le gouvernement
était de savoir si le Canada était complice de la torture de Maher Arar.
Cette préoccupation est soulevée à plusieurs reprises dans le rapport de la
commission d'enquête, la note d'information au commissaire de la GRC,5 le témoignage de l'ambassadeur
du Canada en Syrie,6 les références à la
complicité de la GRC dans sa déportation,7
la perception de complicité des agents du SCRS qui ont rencontré M. Arar en
Syrie,8 la suggestion que la preuve de
complicité pourrait faire apparaître un « type d'inconduite »,9
et les conclusions et recommandations du rapport.10
II.4 La question de la complicité a de nouveau été soulevée en 2007
quand un article publié dans le Globe and Mail
de Toronto a allégué que les prisonniers transportés en Afghanistan par les
troupes canadiennes et remis aux autorités afghanes ont été maltraités et
torturés.11 On peut y lire que : « Le
gouvernement du Canada peut difficilement avancer qu'il ne savait pas ce qui
se passait. Au mieux, il a essayé de ne pas savoir; au pire, il savait et il
n'a rien fait».12 à cet égard, la
complicité n'est pas seulement en faisant une mauvaise action, mais aussi en
n'agissant pas et en gardant le silence.
II.5 L'enquête Arar et les préoccupations soulevées par les articles
du Globe and Mail sur les détenus
afghans ont du sens à condition qu'une personne puisse être moralement
responsable des actes commis par une autre personne : voilà la position
exacte qu'ont adoptée les médecins qui refusent de se conformer aux
exigences de trouver un collègue pour tuer des patients ou les aider à se
suicider.
II.6 La décision Carter a changé la loi
sur le meurtre et le suicide assisté en créant des exceptions dans des
circonstances définies, mais elle n'a pas changé le raisonnement sous-jacent
à la loi sur les parties à l'infraction; le même raisonnement qui a poussé
la commission d'enquête à enquêter sur le traitement de Maher Arar, le même
raisonnement qui a été la bougie d'allumage de l'éditorial du Globe and
Mail sur le traitement des détenus afghans, et le même raisonnement
utilisé par les médecins et les professionnels de la santé qui refusent de
faciliter l'euthanasie ou le suicide assisté par l'octroi de références.
II.7 Il est impossible de rejeter le raisonnement sous-jacent à la
loi sur les parties à l'infraction criminelle, à la responsabilité civile et
à la politique publique sur la complicité dans les cas de torture comme
n'ayant aucune portée juridique ou éthique pour l'exercice et la protection
des libertés fondamentales de conscience et de religion.
III. Complicité forcée dans les cas d'homicides et
de suicides
III.1 Le Groupe consultatif d'experts provincial-territorial et
certains individus ou groupes influents ou puissants sont d'avis qu'une
classe de privilégiés ou d'érudits, certains professionnels ou des
institutions étatiques peuvent légitimement obliger des personnes à
participer à des homicides ou à des suicides et à les punir si elles
refusent.
III.2 Rien de tel n'est cité ou sous-entendu dans l'arrêt Carter. Il
ne s'agit pas d'une limitation raisonnable des libertés fondamentales, mais
une attaque répréhensible de ces libertés et une grave violation de la
dignité humaine. Du point de vue de l'éthique, c'est illogique, car cela
suppose l'existence d'une obligation morale ou éthique de faire ce qu'une
personne croit être mal. Du point de vue des libertés civiles et juridiques,
c'est très dangereux. Si l'état peut exiger que les citoyens participent aux
meurtres d'autres personnes et menacer de les punir ou de faire de la
discrimination à leur égard s'ils refusent, alors que pourrait-il ne pas
exiger? Néanmoins, le Groupe semble se heurter à une certaine résistance sur
le plan de la participation forcée à des homicides et des suicides, comme
une montagne « uniquement canadienne » à gravir.13
III.3 Si tel est le cas, c'est une réponse légitime à une exigence
uniquement canadienne. D'autres pays ont démontré qu'il est possible
d'offrir des services d'euthanasie et de suicide assisté sans museler les
libertés fondamentales. Aucun autre pays n'a besoin de « références
efficaces », de « transferts directs » amorcés par des médecins ou d'autres
contraintes obligeant les médecins à participer aux services d'euthanasie et
de suicide assisté (annexe
A). Il semble qu'ils reconnaissent un point soulevé par la Dre Monica
Branigan lors de sa comparution devant le Comité : « il est impossible de
bâtir un système durable sur la détresse morale. »14
IV. Compétence fédérale et provinciale
IV.1 Les gouvernements provinciaux disposent de la compétence
principale sur la législation relative aux droits de la personne, assujettie
à la Charte canadienne des droits et libertés. En raison
du sujet abordé dans ce cas particulier (homicide et suicide), le
gouvernement fédéral dispose de la compétence en matière de droit criminel.
IV.2 Le droit criminel n'est pas utilisé pour appliquer ou défendre
les libertés et les droits fondamentaux proprement dits. à cet égard, le
Canada table sur la législation relative aux droits de la personne.
Toutefois, le Canada utilise le droit criminel pour prévenir et punir les
violations flagrantes des libertés fondamentales qui posent aussi une grave
menace pour la société : surveillance électronique illégale, incarcération
et torture, etc.
IV.3 La coercition, l'intimidation ou d'autres formes de pressions
visant à obliger les citoyens à participer à un homicide ou un à suicide
sont à la fois une violation flagrante des libertés fondamentales et une
grave menace pour la société qui justifie le recours au droit criminel.
IV.4 Pour cette raison, peu importe la décision qui sera rendue sur
les lois régissant l'euthanasie et le suicide assisté, le Protection of
Conscience Project propose que le gouvernement fédéral en fasse une question
de droit et de politique publique nationale : personne ne peut en obliger
une autre à participer à un homicide ou à un suicide et personne ne peut
être puni ou désavantagé pour avoir refusé de le faire, même si l'homicide
ou le suicide n'est pas une infraction criminelle.
Notes
1. Groupe consultatif
provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir,
Rapport
final (30 novembre 2015). Pour des commentaires sur le Rapport,
voir MurphyS. « A uniquely
Canadian approach to freedom of conscience: Experts recommend coercion to
ensure delivery of euthanasia and assisted suicide », Protection of
Conscience Project, 22 janvier 2016.
2. Commission d'enquête sur les
actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar,
Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et
recommandations, (ci-après, « Enquête Arar : Analyse et
recommandations »), p. 9 (consulté le 27 janvier 2016).
3.
Enquête Arar : Analyse et recommandations, p. 39
(consulté le 27 janvier 2016).
4.
La vice-premi ère mini stre rend public le mand at de la commission d'en
quête publique sur l'affaire Maher Arar. (consulté le 27 janvier
2016) [EN ANGLAIS SEULEMENT].
5. Commission d'enquête sur les actions
des responsables canadiens relativement à Maher Arar,
Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Les faits,
(ci-après
« Enquête Arar ») Vol. 1, p. 71 (consulté le 27 janvier 2016).
6.
Enquête Arar : Vol. I, p. 293.
7.
Enquête Arar : Vol. I, p. 324-325.
8.
Enquête Arar : Vol. I, p. 338-339.
9.
Enquête Arar : Vol. II, p. 843
(http://epe.lac-bac.gc.ca/100/206/301/pco-bcp/commissions/maher_arar/07-09-13/www.ararcommission.ca/fr/Vo_II_French.pdf)
(consulté le 27 janvier 2016).
10.
Enquête Arar : Analyse et recommandations, p. 32, 38,
213-214, 291, 376-377.
11. Smith, Graeme,
« From Canadian custody into cruel hands », Globe and Mail,
23 avril 2007 (consulté le 27 janvier 2016).
12. éditorial,
« The truth Canada did not wish to see », Globe and Mail, 2
avril 2007 () (consulté le 27 janvier 2016) [TRADUCTION].
13. Réunion n° 5, PDAM – Comité mixte spécial
sur l'aide médicale à mourir, 26 janvier 2016.
Maureen Taylor, speaking for the Provincial-Territorial Expert Advisory
Group on Physician Assisted Dying - 19:07:53 à 19:08:11 (consulté le 28
janvier 2016).
14. Réunion n° 6, PDAM – Comité mixte spécial
sur l'aide médicale à mourir, 27 janvier 2016.
Dr. Monica Branigan, speaking for the Canadian Society of PalliativeCare
Physicians - 17:29:02 à 17:29:30 (consulté le 28 janvier 2016)
[TRADUCTION].
Meeting No. 6, PDAM Special Joint Committee on
Physician Asssisted Dying, 27 January, 2016.
Dr. Monica Branigan, speaking for the Canadian Society of Palliative Care
Physicians - 17:29:02 to 17:29:30 (Accessed 2016-01-28)
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