Présentation au Comité mixte spécial sur l'aide médicale à
mourir
Parlement du Canada (31 janvier 2016)
Full Text
I. Introduction
I.1 Le Protection of Conscience Project ne se prononce pas sur
l'acceptation de l'euthanasie ou de le suicide médicalement assisté, ni sur
le bien-fondé de la légalisation de ces procédures. L'objectif du Protection
of Conscience Project est de s'assurer que les travailleurs de la santé qui
s'opposent à pratiquer des homicides et des suicides ou à y participer pour
des raisons de conscience ou de religion ne sont pas obligés de le faire, ni
punis ou désavantagés en cas de refus.
II. Recommandations provinciales-territoriales
II.1 Le Groupe consultatif provincial-territorial
d'experts sur l'aide médicale à mourir a formulé 43 recommandations
concernant la mise en œuvre de la décision de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Carter c. Canada (Procureur général).1
Les recommandations suivantes sont particulièrement préoccupantes:
- Que les établissements portant opposition soient obligés de préparer
l'homicide ou le suicide assisté dans un autre établissement en amorçant
le transfert de patients/résidents;
- Que les médecins ou les travailleurs de la santé portant opposition
soient obligés de permettre activement l'homicide ou le suicide par
- l'octroi de références,
- la préparation des transferts directs,
- l'inscription ou la prise de mesures permettant l'inscription de
patients à un système d'euthanasie et de suicide assisté similaire à
un système de transplantation d'organes.
II.2 Ces recommandations ne correspondent pas à une véritable
acceptation de la liberté de conscience et de religion, pour autant que de
nombreux objecteurs de conscience considèrent raisonnablement qu'elles sont
parties à une complicité inacceptable des homicides et des suicides. Le
caractère raisonnable de leur position peut être vérifié en la considérant
dans le contexte du droit et de la politique publique.
III. Complicité dans le droit et la politique
publique
III.1 En ce qui concerne le contexte juridique, à l'exception de la
décision dans l'affaire Carter, les médecins qui ont agi en conformité avec
n'importe laquelle de ces recommandations seraient exposés à des poursuites
criminelles comme partie à une infraction de meurtre au premier degré ou de
suicide assisté, ou de complot en vue de commettre un meurtre au premier
degré ou un suicide assisté. De plus, ils seraient tenus civilement
responsables de tout dommage résultant des homicides ou des suicides
auxquels ils ont pris part.
III.2 Le contexte de politique publique est apporté par
le cas de Maher Arar. En 2002, Maher Arar, un citoyen canadien, a été détenu
à New York, interrogé et « remis » aux autorités syriennes par les autorités
américaines. Il a été emprisonné pendant près d'un an en Syrie, « interrogé,
torturé et détenu dans des conditions dégradantes et inhumaines ».2
Une enquête subséquente « complète et détaillée » « n'a, en fin de compte,
fourni aucun élément de preuve indiquant qu'il avait commis une infraction
criminelle » et n'a divulgué « aucun élément de preuve [qu'il] représentait
une menace pour la sécurité du Canada ».3
Une commission d'enquête a été nommée pour enquêter sur « les actions des
responsables canadiens relativement à Maher Arar ».4
III.3 Ce qui a préoccupé la population canadienne
et le gouvernement était de savoir si le Canada était complice de la torture
de Maher Arar. Cette préoccupation est soulevée à plusieurs reprises dans le
rapport de la commission d'enquête, la note d'information au commissaire de
la GRC,5 le témoignage de l'ambassadeur
du Canada en Syrie,6 les références à la
complicité de la GRC dans sa déportation,7
la perception de complicité des agents du SCRS qui ont rencontré M. Arar en
Syrie,8 la suggestion que la preuve de
complicité pourrait faire apparaître un « type d'inconduite »,9
et les conclusions et recommandations du rapport.10
III.4 La question de la complicité a de nouveau
été soulevée en 2007 quand un article publié dans le Globe and Mail
de Toronto a allégué que les prisonniers transportés en Afghanistan par les
troupes canadiennes et remis aux autorités afghanes ont été maltraités et
torturés.11 On peut y lire que : « Le
gouvernement du Canada peut difficilement avancer qu'il ne savait pas ce qui
se passait. Au mieux, il a essayé de ne pas savoir; au pire, il savait et il
n'a rien fait».12 à cet égard, la
complicité n'est pas seulement en faisant une mauvaise action, mais aussi en
n'agissant pas et en gardant le silence.
III.5 L'enquête Arar et les préoccupations
soulevées par les articles du Globe and Mail sur les détenus
afghans ont du sens à condition qu'une personne puisse être moralement
responsable des actes commis par une autre personne : voilà la position
exacte qu'ont adoptée les médecins qui refusent de se conformer aux
exigences de trouver un collègue pour tuer des patients ou les aider à se
suicider.
III.6 La décision Carter a changé la loi
sur le meurtre et le suicide assisté en créant des exceptions dans des
circonstances définies, mais elle n'a pas changé le raisonnement sous-jacent
à la loi sur les parties à l'infraction; le même raisonnement qui a poussé
la commission d'enquête à enquêter sur le traitement de Maher Arar, le même
raisonnement qui a été la bougie d'allumage de l'éditorial du Globe and
Mail sur le traitement des détenus afghans, et le même raisonnement
utilisé par les médecins et les professionnels de la santé qui refusent de
faciliter l'euthanasie ou le suicide assisté par l'octroi de références.
III.7 Il est impossible de rejeter le raisonnement sous-jacent à la
loi sur les parties à l'infraction criminelle, à la responsabilité civile et
à la politique publique sur la complicité dans les cas de torture comme
n'ayant aucune portée juridique ou éthique pour l'exercice et la protection
des libertés fondamentales de conscience et de religion.
IV. Complicité forcée dans les cas d'homicides et
de suicides
IV.1 Le Groupe consultatif d'experts
provincial-territorial et certains individus ou groupes influents ou
puissants sont d'avis qu'une classe de privilégiés ou d'érudits, certains
professionnels ou des institutions étatiques peuvent légitimement obliger
des personnes à participer à des homicides ou à des suicides et à les punir
si elles refusent.
IV.2 Rien de tel n'est cité ou sous-entendu dans
l'arrêt Carter. Il ne s'agit pas d'une limitation raisonnable des libertés
fondamentales, mais une attaque répréhensible de ces libertés et une grave
violation de la dignité humaine. Du point de vue de l'éthique, c'est
illogique, car cela suppose l'existence d'une obligation morale ou éthique
de faire ce qu'une personne croit être mal. Du point de vue des libertés
civiles et juridiques, c'est très dangereux. Si l'état peut exiger que les
citoyens participent aux meurtres d'autres personnes et menacer de les punir
ou de faire de la discrimination à leur égard s'ils refusent, alors que
pourrait-il ne pas exiger? Néanmoins, le Groupe semble se heurter à une
certaine résistance sur le plan de la participation forcée à des homicides
et des suicides, comme une montagne « uniquement canadienne » à gravir.13
IV.3 Si tel est le cas, c'est une réponse
légitime à une exigence uniquement canadienne. D'autres pays ont démontré
qu'il est possible d'offrir des services d'euthanasie et de suicide assisté
sans museler les libertés fondamentales. Aucun autre pays n'a besoin de «
références efficaces », de « transferts directs » amorcés par des médecins
ou d'autres contraintes obligeant les médecins à participer aux services
d'euthanasie et de suicide assisté (annexe
A). Il semble qu'ils reconnaissent un point soulevé par la Dre Monica
Branigan lors de sa comparution devant le Comité : « il est impossible de
bâtir un système durable sur la détresse morale. »14
V. Compétence fédérale et provinciale
V.1 Les gouvernements provinciaux disposent de la
compétence principale sur la législation relative aux droits de la personne,
assujettie à la Charte canadienne des droits et libertés. En raison
du sujet abordé dans ce cas particulier (homicide et suicide), le
gouvernement fédéral dispose de la compétence en matière de droit criminel.
V.2 Le droit criminel n'est pas utilisé pour
appliquer ou défendre les libertés et les droits fondamentaux proprement
dits. à cet égard, le Canada table sur la législation relative aux droits de
la personne. Toutefois, le Canada utilise le droit criminel pour prévenir et
punir les violations flagrantes des libertés fondamentales qui posent aussi
une grave menace pour la société : surveillance électronique illégale,
incarcération et torture, etc.
V.3 La coercition, l'intimidation ou d'autres
formes de pressions visant à obliger les citoyens à participer à un homicide
ou un à suicide sont à la fois une violation flagrante des libertés
fondamentales et une grave menace pour la société qui justifie le recours au
droit criminel.
V.4 Pour cette raison, peu importe la décision
qui sera rendue sur les lois régissant l'euthanasie et le suicide assisté,
le Protection of Conscience Project propose que le gouvernement fédéral en
fasse une question de droit et de politique publique nationale : personne ne
peut en obliger une autre à participer à un homicide ou à un suicide et
personne ne peut être puni ou désavantagé pour avoir refusé de le faire,
même si l'homicide ou le suicide n'est pas une infraction criminelle.
L'annexe B propose une
modification au Code Criminel visant à atteindre cet objectif.
Notes
1. Groupe consultatif
provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir,
Rapport
final (30 novembre 2015). Pour des commentaires sur le Rapport,
voir MurphyS. « A uniquely
Canadian approach to freedom of conscience: Experts recommend coercion to
ensure delivery of euthanasia and assisted suicide », Protection of
Conscience Project, 22 janvier 2016.
2. Commission d'enquête sur les
actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar,
Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et
recommandations, (ci-après, « Enquête Arar : Analyse et
recommandations »), p. 9 (consulté le 27 janvier 2016).
3.
Enquête Arar : Analyse et recommandations, p. 39
(consulté le 27 janvier 2016).
4.
La vice-premi ère mini stre rend public le mand at de la commission d'en
quête publique sur l'affaire Maher Arar. (consulté le 27 janvier
2016) [EN ANGLAIS SEULEMENT].
5. Commission d'enquête sur les actions
des responsables canadiens relativement à Maher Arar,
Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Les faits,
(ci-après
« Enquête Arar ») Vol. 1, p. 71 (consulté le 27 janvier 2016).
6.
Enquête Arar : Vol. I, p. 293.
7.
Enquête Arar : Vol. I, p. 324-325.
8.
Enquête Arar : Vol. I, p. 338-339.
9.
Enquête Arar : Vol. II, p. 843
(http://epe.lac-bac.gc.ca/100/206/301/pco-bcp/commissions/maher_arar/07-09-13/www.ararcommission.ca/fr/Vo_II_French.pdf)
(consulté le 27 janvier 2016).
10.
Enquête Arar : Analyse et recommandations, p. 32, 38,
213-214, 291, 376-377.
11. Smith, Graeme,
« From Canadian custody into cruel hands », Globe and Mail,
23 avril 2007 (consulté le 27 janvier 2016).
12. éditorial,
« The truth Canada did not wish to see », Globe and Mail, 2
avril 2007 () (consulté le 27 janvier 2016) [TRADUCTION].
13. Réunion n° 5, PDAM – Comité mixte spécial
sur l'aide médicale à mourir, 26 janvier 2016.
Maureen Taylor, speaking for the Provincial-Territorial Expert Advisory
Group on Physician Assisted Dying - 19:07:53 à 19:08:11 (consulté le 28
janvier 2016).
14. Réunion n° 6, PDAM – Comité mixte spécial
sur l'aide médicale à mourir, 27 janvier 2016.
Dr. Monica Branigan, speaking for the Canadian Society of PalliativeCare
Physicians - 17:29:02 à 17:29:30 (consulté le 28 janvier 2016)
[TRADUCTION].
Meeting No. 6, PDAM Special Joint Committee on
Physician Asssisted Dying, 27 January, 2016.
Dr. Monica Branigan, speaking for the Canadian Society of Palliative Care
Physicians - 17:29:02 to 17:29:30 (Accessed 2016-01-28)
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