L'euthanasie au Canada: une mise en garde
World Medical Journal
No. 3, September, 2018 Vol. 64
Traduction fournie par les auteurs
Reproduit avec permission
Rene Leiva, Margaret M. Cottle, Catherine Ferrier, Sheila
Rutledge Harding, Timothy Lau, Terence McQuiston, John F. Scott*
Introduction
Nous sommes des médecins canadiens consternés
et concernés par les impacts – sur les patients, sur les médecins, sur
la pratique médicale – de l'implantation universelle de l'euthanasie
dans notre pays, définie comme un « soin de santé » auquel tous les
citoyens ont droit (conditionnellement à des critères ambigus et
arbitraires). Beaucoup d'entre nous sont si touchés par la difficulté de
pratiquer sous ces nouvelles contraintes prescrites que nous pourrions
être forcés, pour des raisons d'intégrité et de conscience
professionnelle, d'émigrer ou de se retirer complètement de notre
pratique. Nous sommes tous profondément inquiets du futur de la médecine
au Canada. Nous croyons que ce changement sera non seulement nuisible à
la sécurité des patients, mais également à la perception essentielle par
le public – et par les médecins eux-mêmes – que nous sommes réellement
une profession dédiée seulement à la guérison et au mieux-être. Nous
sommes donc très inquiets des tentatives visant à convaincre
l'Association Médicale Mondiale (AMM) de modifier sa position qui
s'oppose à la participation des médecins à l'euthanasie et au suicide
assisté.
Nonobstant les désaveux de ceux qui promeuvent
le changement de politiques de l'AMM, un tel changement encouragerait la
légalisation des procédures dans d'autres pays, et il est certain que
cela aurait un impact négatif majeur sur nos collègues du monde entier.
Par conséquent, nous croyons qu'il est important que l'AMM
réfléchisse à partier de notre point de vue : celui de médecins canadiens qui
refusent de tuer leurs patients ou de les aider à se suicider, qui
refusent de faciliter l'euthanasie ou le suicide assisté par autrui, et
qui exercent dans un pays où de tels refus sont maintenant largement considérés
comme des points de vue extrémistes, inacceptables ou non
professionnels. Jusqu'à présent, notre point de vue a fait défaut dans
les discussions de l'AMM.
La loi
Au Canada, le gouvernement fédéral est
responsable du droit pénal et les provinces ont compétence sur les soins de
santé et l'application du droit pénal. En 2014, la province de Québec a
exploité cet arrangement constitutionnel en redéfinissant légalement les
soins médicaux de fin de vie pour qu'ils incluent l'euthanasie [1]. La loi
est entrée en vigueur en décembre 2015.
En février 2015, la Cour suprême du Canada a
statué dans la décision Carter c. Canada que les médecins peuvent pratiquer
l'euthanasie ou le suicide assisté (E/SA) pour une personne adulte capable qui (1)
consent clairement à mettre fin à sa vie ; et qui (2) est affectée de
problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une
maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui
sont intolérables au regard de sa condition [2]. Les critères sont
donc plus
larges que ceux spécifiés dans la loi du Québec.
À la suite de la décision Carter, le Code criminel a été modifié
par le gouvernement fédéral en juin 2016
pour que la décision soit appliquée dans tout le pays [3].
Contrairement à la loi canadienne qui permet également le suicide assisté, la loi québécoise
ne permet que l'euthanasie, et seulement pour une personne « en fin de vie
dont la « situation médicale se caractérise par un déclin avancé et
irréversible de ses capacités » [1]. De même, le Code criminel stipule que
le décès naturel du candidat doit être « raisonnablement prévisible » (terme
non défini) et reprend l'exigence du Québec relative à un « déclin avancé ».
Il précise également que la maladie ou l'invalidité du candidat doit être
incurable [3].
Certains patients déterminés qui ne satisfont pas à
ces exigences en raison de l'évolution naturelle de la maladie peuvent
choisir de se priver de nourriture afin de se qualifier pour les procédures
[4]. Cette situation a été dénoncée comme « cruelle » et a été considérée
comme une raison d'abolir les exigences [5]. Des poursuites judiciaires en
cours en Colombie-Britannique [6] et au Québec [7] affirment que ces
exigences sont inconstitutionnelles.
Élargir l'accès à l'euthanasie et au suicide
assisté
Si les poursuites judiciaires en cours
aboutissent, l'euthanasie et le suicide assisté seront également disponibles comme un
soi-disant « traitement » à la maladie mentale, car toutes les maladies
mentales n'affectent pas de façon permanente la capacité décisionnelle. En
outre, la Cour suprême n'a pas exclu d'autoriser l'euthanasie et le suicide
assisté pour des raisons autres que celles mentionnées dans la décision
Carter [2].
D'ailleurs, dans l'année suivant le jugement, la pression
en faveur de « Carter Plus » était devenue si forte que le gouvernement
fédéral s'était légalement engagé à
« explorer » la possibilité de permettre l'euthanasie et le
suicide assisté pour les adolescents et les enfants, pour les
personnes dont la maladie mentale serait l'unique cause justifiant la
requête, et par demande anticipée, i.e. pour
ceux dont les capacités mentales sont altérées, (comme les patients souffrant
de démence) [8].
En résumé, si les réunions régionales de l'AMM
démontrent qu'il n'y a pas d'engouement pour l'euthanasie en dehors de
certaines parties de l'Europe et de la diaspora européenne, au Canada, nous
avons observé que même la perspective de la légalisation stimule
l'engouement à son sujet, et que cet engouement ne se satisfait pas de la
seule légalisation.
Le manque de fiabilité des « balises »
juridiques
La Cour suprême du Canada a considéré qu'un «
système de garanties soigneusement conçu et surveillé » limiterait les
risques associés au fait de permettre aux médecins de tuer des patients ou
de les aider à se suicider [2]. Toutefois, la Norme sur la protection des
personnes vulnérables, élaborée pour aider à établir de tels garanties,
considère que la loi canadienne actuelle est clairement insuffisante
[9].
Même complétés par des lignes directrices provinciales et professionnelles,
les critères actuels sont si étendus qu'ils ont permis d'effectuer une
injection létale à un couple âgé qui préférait mourir ensemble par
euthanasie plutôt qu'à des moments différents par cause naturelle
[10].
Malgré cela, seulement un an après la
légalisation, les médecins canadiens qui pratiquent l'E/SA se plaignaient
déjà d'avoir à rencontrer des patients (peut-être plus d'une fois), à
examiner leurs antécédents médicaux souvent « longs et compliqués », à
conseiller et à surmonter la résistance des membres de leur famille
[11], à
diriger les patients vers des psychiatres ou des travailleurs sociaux [12],
à trouver deux témoins indépendants pour vérifier le caractère volontaire
des demandes des patients [13] et à gérer la «
paperasserie et la bureaucratie concernée » [14] comme
de devoir remplir des formulaires et
envoyer des rapports au coroner [13;15]. Ce que d'autres considèrent comme
des balises, ils le qualifient de « tentatives de dissuasion » de
participation des médecins qui créent des « obstacles » à l'accès à
l'euthanasie et au suicide assisté.
Demande de collaboration
Les médecins qui pratiquent l'E/SA ont
également affirmé qu'une « crise » existait parce que trop peu de médecins
étaient prêts à pratiquer l'euthanasie ou le suicide assisté (16). Leur
inquiétude semble avoir été déclenchée par une augmentation de 46,8 % du
nombre de décès liés à l'euthanasie et au suicide assisté au cours de la
2ème moitié de la première année de légalisation. Le taux de mortalité
engendré par l'E/SA au cours de la première année - environ 0,9 % de tous les
décès [17] - n'a pas été atteint par la Belgique pendant sept à huit ans
[18].
Toutefois, les comparaisons entre les
administrations indiquent que, même au cours de la première année de la
légalisation, le nombre de médecins canadiens pratiquant l'ESA disponibles
pour répondre à la demande était plus que suffisant [19].
Même si cela devrait
rendre inutile la coercition de médecins qui s'y opposent, des personnalités
canadiennes éminentes, influentes et puissantes ne sont pas d'accord.
Il est vrai qu'aucune disposition du Code
criminel n'oblige personnellement les médecins à tuer leurs patients ou à
les aider à se suicider [3]. Toutefois, rien dans le Code criminel n'empêche
la contrainte par d'autres lois ou politiques. Ainsi, par exemple, le plus
important organisme de réglementation médicale du Canada exige que les
médecins qui refusent de fournir personnellement des « services » d'euthanasie
ou d'aide au suicide collaborent à l'homicide et au suicide en dirigeant les
patients vers des collègues qui sont prêts à le faire [20].
Nous refusons catégoriquement.
Une telle
collaboration nous rendrait moralement responsables du meurtre de nos
patients ; si ce n'était la décision Carter, cette collaboration nous
rendrait criminellement responsables et passibles d'une condamnation pour
meurtre, tout comme c'est encore le cas dans la plupart des régions du
monde. Pour avoir refusé de collaborer au meurtre de nos patients, beaucoup
d'entre nous risquent aujourd'hui de faire l'objet de mesures disciplinaires
et d'être expulsés du corps médical. Comment en est-on arrivé là ?
L'accès à l'euthanasie et au suicide assisté
en tant que droits
Cela s'explique en partie par le fait que le
système d'assurance-maladie du Canada, géré par l'État, finance les «
services hospitaliers et médicaux médicalement nécessaires » à même les
fonds publics. Au niveau de la loi fiscale,
la plupart des médecins canadiens sont des entrepreneurs
indépendants payés uniquement pour les services qu'ils fournissent, mais de
nombreux Canadiens croient désormais que nous sommes des employés de l'État,
alors nous sommes confrontés à une attitude bien ancrée d'exigibilité.
En effet, puisque
les contribuables paient pour des services de santé « médicalement
nécessaires », beaucoup de gens pensent qu'il est inacceptable que les
médecins refusent de les fournir [21].
Mais que considéré comme un
service « médicalement nécessaire » ? En gros, n'importe quel service
déclaré comme tel par l'État. Comme nous l'avons vu, le
gouvernement du Québec a redéfini la pratique médicale
en 2014 pour y inclure
l'euthanasie. Ce faisant, le Québec a délibérément restreint la pratique de
l'euthanasie aux médecins [1].
L'accès à l'euthanasie et au suicide assisté
en tant que Droits de l'Homme
Le promoteur de la loi québécoise a affirmé que
l'euthanasie resterait « une mesure exceptionnelle pour des cas
exceptionnels » [24]. Toutefois, la loi
stipule que les patients qualifiés ont droit à l'euthanasie, et
l'exercice d'un droit ne peut être exceptionnel. Dans ce contexte, tous les
établissements de santé publics (résidences, établissements de soins de
longue durée, centres de santé communautaires et hôpitaux - y compris les
unités de soins palliatifs) sont tenus de fournir ou d'organiser
l'euthanasie [1]. Et pourtant, même cela n'a pas été suffisant.
Le Centre universitaire de santé McGill s'est
conformé à la loi québécoise en prenant des dispositions pour transférer les
patients de l'unité de soins palliatifs afin qu'ils reçoivent l'injection
létale ailleurs dans l'établissement. Malgré tout, le ministre de la Santé du Québec a
imposé l'exécution de l'euthanasie dans l'unité de soins palliatifs, citant
« le droit légitime des patients à recevoir des soins de fin de vie »
[23;24].
De même, la loi québécoise permet aux maisons de soins
palliatifs de refuser l'euthanasie [1], mais lorsque les maisons de soins
palliatifs du Québec ont unanimement refusé d'y particper, le ministre de la Santé les a dénoncés pour
« fondamentalisme administratif », déclarant leur refus « incompréhensible
». De plus, nonobstant la loi, un éminent avocat québécois a insisté pour que leurs
subventions publiques soient supprimées, les a accusés de compromettre le
droit d'accès aux soins et a averti qu'autoriser ce refus était une pente
glissante [25]. Les maisons de soins palliatifs d'autres provinces, comme la
Colombie-Britannique [26], font face à une situation semblable.
Les médecins et les professionnels de la santé
du Québec travaillent maintenant dans des milieux caractérisés par un accent
mis sur un prétendu « droit » à l'euthanasie. L'idée que l'accès à
l'euthanasie et au suicide assisté est un droit fondamental de la personne
s'est répandue partout au Canada depuis l'arrêt Carter de la Cour suprême du
Canada. Nous sommes accusés de violer les droits de l'homme - en étant même
appelés des « réactionnaires » - parce que nous refusons de tuer ou de
collaborer à la mort de nos patients [27].
Considérer l'euthanasie comme une obligation
professionnelle/éthique
Les dirigeants de la profession médicale ont
largement contribué à la redéfinition juridique de l'euthanasie en tant
qu'acte médical et à la légalisation du suicide médicalement assisté et de
l'euthanasie.
Le Collège des médecins du Québec (CMQ) a
déclaré aux législateurs québécois que le fait de causer activement la mort
d'un patient est « une intervention médicale » dont les médecins doivent
être entièrement responsables, insistant pour que le médecin assume « le
fardeau moral » consistant à tuer les patients [28]. La Fédération des
médecins omnipraticiens du Québec a insisté sur le fait que seuls les
médecins devraient pratiquer l'euthanasie [29].
L'Association médicale Canadienne a obtenu l'approbation d'une résolution
apparemment « neutre » sur l'euthanasie et le suicide assisté,
cherchant à soutenir à la
fois les médecins désireux de fournir les services d'ESA et ceux qui ne le
souhaitent pas [30]. L'AMC a plus tard déclaré à la Cour suprême du Canada
que les positions pour et contre la participation des médecins à
l'euthanasie et au suicide assisté étaient toutes deux défendables sur le plan
éthique et que sa politique de longue date contre la participation des
médecins serait révisée pour tenir compte des deux points de vue
[31].
Cependant, en 2014, avant la décision de la
Cour suprême en 2015, l'AMC a officiellement approuvé le suicide assisté et
l'euthanasie par un médecin (sous réserve de contraintes juridiques) comme
réponses à « la souffrance des personnes atteintes de maladies incurables ».
Elle a classé les deux pratiques comme des « soins de fin de vie » et a
promis d'assurer l'accès à « tout l'éventail » des soins de fin de vie
(c'est-à-dire y compris l'euthanasie et le suicide assisté) [32].
Incidemment, la Cour
suprême a pu cité la nouvelle politique de l'AMC lorsqu'elle a invalidé la loi
deux mois plus tard [2].
En redéfinissant l'euthanasie et le suicide
assisté comme des services médicaux thérapeutiques [33],
l'AMC a rendu la participation des médecins normative pour la profession
médicale ; le refus de fournir ces « services » dans les circonstances prévues
par la loi est devenu une exception exigeant une justification ou une
excuse. C'est pourquoi le discours public au Canada s'est depuis largement
centré sur la question de savoir si ou dans quelles circonstances les
médecins et les établissements devraient être autorisés à refuser de fournir
ou de collaborer à l'homicide et au suicide : d'où le « long débat » sur
l'objection de conscience lors du congrès annuel 2015 de l'AMC, auquel le
vice-président, Professionnalisme médical, de l'AMC fait référence dans son
article du World Medical Journal [34].
Le vice-président de l'AMC, Professionnalisme
médical, a fait remarquer ailleurs que, pendant des années, des médecins
opposés à l'euthanasie et au suicide assisté ont fait pression sur l'AMC
pour qu'elle appuie leur droit de refuser de participer aux procédures. «
Ils ont lancé des appels larmoyants lors de plusieurs réunions du Conseil
général de l'AMC, demandant à leurs collègues non contestataires de les
soutenir et de défendre leurs droits » [35]. Nous avons dû le faire
précisément à cause du renversement de la politique de l'AMC contre la
participation des médecins à l'euthanasie des patients, de la
reclassification de l'euthanasie et du suicide assisté en « services médicaux
»
et de l'insistance sur le fait qu'on devrat être tenu de fournir ces
services sans « retard excessif ». [36].
Pour être juste, nos appels n'ont pas été
vains. L'AMC soutient effectivement les médecins qui refusent de fournir des
services d'euthanasie et d'aide au suicide ou qui refusent de diriger les
patients vers ces services, affirme que l'état devrait élaborer des
mécanismes permettant aux patients d'accéder directement aux services sans
violer les engagements moraux des médecins, et rejette la discrimination
contre ceux qui s'y opposent [36]. Mais ce conseil peut être ignoré et,
lorsqu'il l'est, les médecins font face à l'État devant les tribunaux et
paient la note pour les contestations constitutionnelles coûteuses [37].
De plus, des voix influentes ont appelé publiquement les étudiants en
médecine qui s'opposent personnellement à l'impératif de l'euthanasie à
abandonner ou à s'abstenir de demander une formation médicale [38].
Le régime de l'euthanasie et du suicide
assisté au Canada
L'AMC est sincèrement convaincue qu'elle a «
fait ce qu'il fallait » en façonnant le débat et le droit au Canada et
qu'elle est du bon côté de l'histoire. Elle exhorte l'AMM à suivre son
exemple [34]. C'est pourquoi nos collègues des autres pays doivent être
conscients que le régime de l'ESA au Canada est l'un des plus radicaux au
monde.
Les patients ne disposent pas d'un « droit à
l'euthanasie » aux Pays-Bas [39] ou en Belgique (40),
bien que la longue pratique incline le public à adopter une position
contraire [41].
L'euthanasie n'est autorisée dans aucun des deux pays à moins qu'un médecin
ne soit personnellement convaincu qu'il n'existe aucune autre solution
raisonnable [42;43]. De même, les médecins néerlandais et belges doivent
être personnellement convaincus que la souffrance d'un patient est
intolérable et durable [42;43], et les médecins belges peuvent insister sur
des critères au-delà de ceux fixés par la loi [42].
Au Canada, cependant, l'accès à l'euthanasie
et au suicide assisté est considéré comme un droit payé par les impôts, est
décrit comme un « droit civil et humain protégé par la Constitution »
[44]
et l'homicide et le suicide sont légalement et professionnellement définis
comme des services médicaux thérapeutiques. De plus, la conviction d'un
médecin qu'il existe d'autres alternatives raisonnables et efficaces n'est
pas pertinente ; les patients peuvent exiger l'injection létale. Enfin, le
critère de la souffrance intolérable est entièrement subjectif, établi
unilatéralement par le patient.
Il n'est donc pas étonnant qu'il semble de plus en plus souvent incomber
aux médecins de démontrer pourquoi l'euthanasie devrait être refusée et que
les administrateurs de soins de santé soient plus inquiets d'être accusés
d'« entraver l'accès » [45] que de « tuer des gens qui
ne devraient vraiment pas être tués » [46].
Un an seulement après la légalisation, le Dr Yves Robert, secrétaire du
CMQ, a été alarmé par « la rapidité avec laquelle l'opinion publique semble
avoir jugé insuffisante [la nouvelle loi] »: « Si une chose a été observée au cours de la
dernière année, c'est ce discours paradoxal qui réclame des balises pour
éviter les abus », écrit-il, « tout en demandant au médecin d'agir comme
s'il n'y en avait pas. (...)[N]ous constatons l'émergence d'un discours
réclamant une forme de mort à la carte », a-t-il averti.[47]
Les patients et les soins palliatifs
En tant que médecins, nous nous concentrons
sur le bien-être de nos patients, en évitant l'acharnement thérapeutique et
en répondant à leur souffrance avec compassion, compétence et à l'aide de
soins palliatifs. Nous sommes inquiets de constater que le nombre de
médecins québécois qui commencent à travailler en soins palliatifs a diminué
après la légalisation de l'euthanasie, et le CMQ et la Société des soins
palliatifs du Québec craignent que les patients choisissent l'euthanasie
parce que des soins palliatifs adéquats ne sont pas disponibles [48].
Nous sommes perturbés et affligés par
l'histoire d'une femme handicapée de 25 ans en crise aiguë dans une salle
d'urgence, contrainte d'envisager le suicide assisté par un médecin
traitant, qui a traité sa mère d'« égoïste » parce qu'elle voulait la
protéger [49].
Nous sommes troublés et furieux d'apprendre
que les autorités hospitalières ont refusé à un patient atteint d'une
maladie chronique et gravement handicapé les soins dont il avait besoin,
suggérant plutôt l'euthanasie ou le suicide assisté [50].
Et nous avons été étonnés d'apprendre que,
pendant un temps, certains urgentologues du Québec ont laissé mourir des
personnes ayant fait des tentatives de suicide, alors qu'elles auraient pu
leur sauver la vie. Ces incidents ont fait leur apparition au moment de
l'entrée en vigueur de la loi québécoise sur l'euthanasie, et le président
de l'Association des médecins d'urgence du Québec a émis l'hypothèse que la
loi et la publicité qui l'accompagnaient pouvaient avoir « confus » les
médecins quant à leur rôle [51].
Ces incidents sont en parfaite cohérence avec
l'acceptation de l'euthanasie et du suicide médicalement assisté et
illustrent de graves violations de l'éthique médicale traditionnelle. Ce
n'est pas une coïncidence.
L'euthanasie et la transformation de la
culture médicale
Les dirigeants médicaux canadiens ont appris que, dans d'autres pays, la
légalisation de l'aide au suicide et de l'euthanasie a entraîné des «
changements dans la culture médicale » qui ont mené à « une situation
générale confortable » vis-à-vis de la loi [52].
Cependant, lorsque les urgentologues refusent
de réanimer les patients qui tentent de se suicider et incitent les patients
handicapés en crise à demander l'euthanasie, de tels « changements dans la
culture médicale » ne sont, à notre avis, ni compatibles avec la sécurité
des patients, ni avec le maintien de la confiance essentielle pour préserver
la relation médecin-patient.
Et lorsqu'on dit aux médecins d'écrire « mort
naturelle » au lieu d'« euthanasie » sur les certificats de décès
[53;54] -
et donc, par extension, de déformer les faits - « les changements dans la culture
médicale » peuvent viser au confort des médecins, mais nous ne croyons pas
qu'ils maintiendront la confiance dans la profession médicale. Même les
lignes directrices fédérales récemment publiées pour la surveillance de
l'euthanasie ne mettent pas l'accent sur la prévention de l'euthanasie et du
suicide assisté, mais plutôt sur la réglementation de ces pratiques
[55;56;57].
Enfin, lorsqu'une maison de retraite juive
interdit l'euthanasie et le suicide assisté dans ses locaux par respect pour
les croyances juives et par souci pour ses résidents (qui comprennent des
survivants de l'Holocauste), les « changements dans la culture médicale »
pourraient applaudir les praticiens de l'E/SA qui se sont introduits la nuit
pour administrer une injection mortelle [58], mais nous ne les applaudissons
pas ; nous sommes horrifiés.
Nos observations et expériences personnelles
au cours des deux dernières années confirment notre conviction que la
pratique de la médecine hippocratique est fondamentalement incompatible avec
l'euthanasie et le suicide assisté. Rendre obligatoire la prestation de ces
« services » à l'échelle du système et la participation des médecins dans
les cabinets médicaux pourrait transformer la culture médicale, ce qui
rendra finalement impossible la pratique médicale hippocratique.
Conclusion
Les conférences régionales de l'AMM démontrent
que la grande majorité des médecins du monde entier sont d'accord avec nous.
Il n'en est pas moins vrai que certains médecins et patients ont recours à
l'euthanasie ou au suicide assisté lorsque les procédures sont légales. En
supposant que tuer des gens ou les aider à se suicider puisse parfois être
une réponse acceptable à la souffrance humaine (ce que nous n'admettons
pas), comment pourrait-on répondre à ces exigences ?
La réponse est intuitivement évidente : en
perturbant le moins possible la pratique médicale existant de longue date.
Et de ce point de vue, une solution totalement non médicale serait
meilleure. Lorsque cela n'est plus possible, la loi et les politiques
devraient permettre à la pratique médicale de demeurer en grande partie
inchangée. Les patients n'ont aucun droit à E/SA; les praticiens et les
institutions n'ont aucun devoir de les fournir; les associations médicales poursuivent
respectueusement les débats éthiques non résolus ; l'ampleur des phénomènes
reste proportionnelle aux demandes des minorités. L'introduction de
l'euthanasie au Canada a été la cause de beaucoup de doutes, de conflits et
de crises. À notre avis, de nouvelles disciplines, de nouvelles professions
et de nouvelles méthodes pourraient voir le jour pour satisfaire de nouveaux
objectifs sociaux; mais pas au nom de la Médecine. Nous croyons que les
médecins et les associations médicales devraient défendre vigoureusement
l'excellent modèle reçu de notre Histoire. Et l'euthanasie, ce n'est pas de
la médecine.
En tant que Canadiens, nous sommes attristés
par cette situation, mais nous espérons que notre expérience et nos
observations serviront d'avertissement à nos collègues des autres pays et à
leurs patients. Et surtout : l'Association Médicale Mondiale doit
reconnaître qu'il est malavisé de s'adapter au genre de changement radical
de la culture médicale en cours au Canada. Conscients de l'héritage
d'anciens dirigeants de l'AMM, comme l'ancien Secrétaire général, M. André
Wynen, qui, sur la base de son expérience personnelle, s'est courageusement
opposé à toute minimisation des dangers de l'euthanasie [59], nous
déconseillons tout ajout ou modification compromettante aux déclarations
existantes de l'AMM, et soutenons fermement une défense complète des
politiques établies contre l'euthanasie et le suicide assisté.
Abréviations
AMC Association médicale canadienne
CMQ Collège des médecins du Québec
ESA Euthanasie et suicide assisté
AMM Association Médicale Mondiale
*Auteurs
(affiliations institutionnelles fournies à
des fins d'identification uniquement)
Rene Leiva, MDCM, CCFP (COE/PC), FCFC Family Medicine, Palliative Care,
Care of the Elderly Bruyere Continuing Care Ottawa, Ontario, Canada
Margaret M Cottle, MD, CCFP (PC) Palliative Care, Assistant Professor,
University of British Columbia, Vancouver, British Columbia, Canada
Catherine Ferrier, MD, CCFP (COE), FCFP, Family Medicine, Care of the
Elderly McGill University Health Centre Assistant Professor of Family
Medicine, McGill University Montreal, Quebec, Canada
Sheila Rutledge Harding, MD, MA, FRCPC Hematology, Saskatchewan Health
Authority
Professor, University of Saskatchewan Saskatoon, Saskatchewan,
Canada
Timothy Lau, MD, MSc, FRCPC Geriatric Psychiatry, Royal Ottawa Hospital
Associate Professor, University of Ottawa Ottawa, Ontario, Canada
Terence McQuiston, MD, Family Medicine (special interest in Geriatrics)
Donway Place Retirement Residence Toronto, Ontario, Canada
John F Scott, MD, MDiv, Palliative Care, Associate Professor, University
of Ottawa The Ottawa Hospital, Ottawa, Ontario, Canada
Remerciements et endossements
Les auteurs souhaitent exprimer nos plus sincères remerciements pour leurs idées, leurs modifications
soutien reçu par beaucoup de nos collègues. Le dernier article a été explicitement approuvé par les médecins canadiens suivants
Balfour M Mount
Anita Au
Sasha Bernatsky
Thomas Bouchard
Julia Bright
Myra Butler
Luigi Castagna
Julia Cataudella
Cyril Chan
Luke Chen
Joyce Choi
Andre Constantin
Alana Cormier
David D’Souza
Ed Dubland
Abraham Fuks
Dominique Garrel
Richard Haber
Ronald E Hiller
Neil Hilliard
Todd C Howlett
Evelyne Huglo
K. Issigonis
Andre Jakubow
Will Johnston
Lynn Kealey
Nuala P Kenny
Anthony T Kerigan
Edmond Kyrillos
Joseph M Lam
Renata Leong
Constant H. Leung
Henry Lew
Andrea H. S. Loewen
Jean-Noel Mahy
François Mai
Karen MacDonald
Karen Mason
John R McLeod
J Stephen Mitchinson
Ibrahim Mohamed
José A. Morais
Louis Morissette
Laurence Normand-Rivest
Liette Pilon
Roger Roberge
Cameron Ross
Paul Saba
Kevin Sclater
William F. Sullivan
Vanessa Sweet
Sephora Tang
Mark Tsai
Stephen Tsai
James Warkentin
Maria Wolfs
Paul Yong
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